18 novembre 2021 | Exécution du contrat de travail

Vigilance de la Cour de cassation sur les conditions de validité d’une convention de forfait en jours.

Nullité d’une convention de forfait annuel en jours pour insuffisance des modalités de contrôle et de suivi de la charge de travail instituées par la convention collective

La convention de forfait permet à l’employeur de verser au salarié une rémunération forfaitaire comprenant le salaire habituel et les heures supplémentaires.

La convention individuelle de forfait jours, qui est l’une des modalités possibles des conventions de forfait annuel en jours, consiste à décompter le travail des salariés en jours sur l’année et non pas en heures.

Elle n’est autorisée que pour certaines catégories de salariés (et à la condition d’obtenir leur accord écrit) :

* les cadres disposant d’une autonomie dans l’organisation de leur temps de travail et dont la nature des fonctions ne leur permet pas d’appliquer l’horaire collectif au sein de leur service ;

* Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut pas être prédéterminée et qui possèdent une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps.

De plus, cette convention doit être précédée d’un accord collectif qui fixe le cadre du forfait, ses limites et les garanties données aux salariés.

Dans une décision du 13 octobre 2021 (n°19-20561), publiée au bulletin, la Chambre sociale de la Cour de cassation se prononce à nouveau sur les conditions de validité d’une convention individuelle de forfait annuel en jours.

  1. Les faits de l’affaire :

Un Directeur d’Agence, salarié d’une caisse régionale du Crédit Agricole, a signé une convention individuelle de forfait-jours prévoyant 206 jours de travail annuel. Après avoir démissionné, il a saisi, le 9 décembre 2016, le Conseil de prud’hommes de plusieurs demandes dont l’une portait sur le prononcé de la nullité de la convention de forfait en jours qu’il avait signée avec son employeur. Il reprochait notamment à ce dernier de ne pas avoir organisé d’entretien annuel et de ne pas avoir respecté son droit au repos.

Le 5 juin 2019, la Cour d’appel de Poitiers a jugé que la convention de forfait jours signée par les parties était valable puisqu’elle stipulait notamment qu’en cas de situation durable d’amplitude journalière forte de travail, un point serait fait avec la hiérarchie pour rechercher des moyens d’y remédier.

Le salarié, débouté, n’en est pas resté là, et a formé un pourvoi en cassation.

Bien lui en a pris puisque la Cour de cassation a prononcé la nullité de la convention de forfait jours ; cassé la décision de la Cour d’appel de Poitiers sur ce point uniquement et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Limoges.

  1. La motivation de l’arrêt :

La Cour de cassation s’attache à examiner non pas les dispositions de la convention individuelle de forfait jours mais celles de la convention collective du Crédit Agricole, applicable à la relation de travail. Elle rappelle en effet que « toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ».

Puis la Cour de cassation vérifie si les dispositions de la convention collective du Crédit Agricole respectent les principes du droit à la santé et au repos dont les cadres au forfait jour doivent bénéficier et dont elle rappelle qu’ils figurent au nombre des exigences constitutionnelles (l’arrêt est rendu au visa notamment du préambule de la Constitution (alinéa 11) et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatif aux « conditions de travail justes et équitables »).

Or, son analyse est que les mesures de contrôle et de suivi de la charge de travail prévues par la convention collective du Crédit agricole (consistant notamment dans un contrôle par l’employeur des jours travaillés et des jours de repos par un bilan annuel) n’étaient pas suffisantes puisque « n’instituant pas de suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable » de sorte qu’elles « ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé ». La Cour de cassation en déduit donc que la convention de forfait en jours conclue par les parties en application de cet accord collectif est nulle. La décision de la Cour d’appel est cassée.

  1. En conclusion

Par cet arrêt la Cour de cassation maintient un contrôle strict des conventions de forfait jours puisque, dans la lignée de son arrêt du 29 juin 2011 (n°09-71.107) elle confirme que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires.

L’arrêt du 13 octobre 2021 vient ainsi rappeler que la convention individuelle de forfait jours ne peut venir pallier aux lacunes de l’accord collectif, celui-ci devant lui-même prévoir un mécanisme de contrôle et de suivi de l’amplitude et de la charge de travail permettant d’assurer l’effectivité des droits du salarié (droit à la santé et au repos).

Aussi, le Cadre qui envisagerait de contester la validité de sa convention de forfait jours pour éventuellement réclamer le paiement d’heures supplémentaires sera toujours bien inspiré de consulter un avocat qui prendra soin de vérifier les dispositions de l’accord collectif sur lequel s’appuie sa convention individuelle de forfait jours.

Susana Lopes Dos Santos

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