29 mai 2013 | Actualité jurisprudentielle | Rupture du contrat de travail et ses suites

De ce qu’il peut en coûter de discriminer une femme à son retour de congé maternité (1)

Cinq jours après son retour de congé de maternité, un employeur licencie une jeune femme pour motif économique sans respecter les critères légaux d’ordre des licenciements applicables en cas de licenciement économique. Pour se justifier, il indique qu’il ne pouvait faire autrement, car il supprimait le poste de la salariée en question qui occupait les fonctions de Directrice de la communication.

Après presque 15 années d’un parcours démontrant une implication professionnelle exemplaire, l’intéressée sentait bien que ce licenciement n’était pas régulier. Elle a donc consulté un avocat spécialiste en droit du travail qui lui a confirmé que non seulement les conditions dans lesquelles son licenciement était intervenu posaient problème mais, examinant son cas avec attention, lui a fait part de ses doutes sur la validité de l’accord de réduction du temps de travail applicable dans les entreprises des industries de l’habillement qui attribue la qualité de cadre dirigeant dans des conditions moins exigeantes que les conditions légales.

Cette seconde observation était importante dans la mesure où la qualité de cadre dirigeant prive les personnes qui en bénéficient du bénéfice des dispositions légales relatives à la durée du travail, aux repos et aux jours fériés. En d’autres termes, en cas de « déqualification », la salariée avait la possibilité de revendiquer le paiement des nombreuses heures supplémentaires qu’elle avait effectuées sans rémunération complémentaire.

Faisant confiance à l’homme de l’art, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes qui, après pratiquement une année de procédure l’a déboutée de toutes ses demandes. L’intéressée ne s’est pas découragée et a formé appel du jugement.
Elle a très bien fait puisque, le 16 avril 2013, la Cour d’appel d’Angers a prononcé un arrêt qui a totalement infirmé la décision du conseil de prud’hommes et a fait droit à la quasi-totalité de ses demandes.

En effet, la Cour a condamné l’employeur à payer :

  • plus de 96 000,00 € à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires ;
  • plus de 65 000,00 € à titre d’indemnité de repos compensateurs ;
  • 100.000,00 € au titre du licenciement nul car discriminatoire ;
  • 3.000,00 € au titre des frais de justice.

Soit au total près de 265.000,00 €.

Cet arrêt aborde avec une précision juridique implacable plusieurs des thèmes récurrents du contentieux individuel du droit du travail concernant :

  • La valeur d’un accord collectif accordant la qualité de cadre dirigeant dans des conditions moins strictes que celles du code du travail ;
  • La preuve des heures supplémentaires ;
  • La discrimination touchant les femmes à leur retour de congé de maternité dans le cadre d’un licenciement pour motif économique collectif.

La décision aborde chacun de ces thèmes avec une telle justesse et une telle acuité que tous mériteraient un commentaire détaillé. Nous limiterons cependant notre commentaire au licenciement pour motif économique collectif par une femme de retour de congé de maternité (A) avant de nous intéresser brièvement à la qualité de cadre dirigeant lorsqu’elle est attribuée par un accord collectif dans des conditions dérogeant à celles du code du travail (B).


A – Le non-respect des critères de licenciement peut faire présumer une discrimination liée au sexe et à la maternité.

On sait qu’un employeur contraint de procéder à des licenciements pour motif économique ne peut choisir arbitrairement le ou les salariés à licencier mais doit respecter des critères énumérés par l’article L. 1235-5 du code du travail qui prévoit qu’il doit prendre en compte :

  • 1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés,
  • 2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise,
  • 3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés,
  • 4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie. (2)

Dans cette affaire l’entreprise avait mis en place un plan de réduction des effectifs concernant 39 salariés et la personne concernée ne discutait pas la réalité des difficultés économiques avancées par l’employeur.

Elle observait cependant qu’alors qu’il y avait d’autres cadres, elle avait été la seule à être licenciée, parmi les cadres de son niveau, responsables de service, qu’elle était la seule à être de sexe féminin et à revenir d’un congé de maternité. Elle indiquait que cet élément faisait présumer l’existence d’une discrimination liée à son sexe et au fait qu’elle reprenait son travail après avoir bénéficié d’un congé de maternité.

Pour sa défense l’employeur indiquait qu’il n’avait pas à respecter les critères de licenciement la concernant dans la mesure où il supprimait le poste de Directeur de la communication et qu’étant l’unique Directrice de communication, elle constituait à elle-seule une catégorie professionnelle à part entière.

La Cour d’appel d’Angers a donc rappelé à l’employeur que constitue une catégorie professionnelle l’ensemble des salariés qui, au sein de l’entreprise, exercent des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune. Après avoir observé qu’il y avait au sein de l’entreprise d’autres cadres de direction responsables d’un service et que l’appelante, qui était dotée d’une formation en management et marketing de haut niveau acquise au sein de grandes écoles de commerce (HEC et AUDENCIA), aurait parfaitement pu remplir des fonctions d’encadrement de services ressortant d’une autre spécialité que la communication, la Cour d’appel a relevé que les critères de licenciement auraient dû être appliqués entre tous les cadres appartenant à la même catégorie ce qui n’avait pas été fait.

Tirant ensuite logiquement les conséquences de ce que la salariée avait démontré :

  • qu’il y avait dans l’entreprise plusieurs cadres responsables de service ;
  • qu’à l’exception de l’appelante tous les autres cadres étaient des hommes ;
  • que l’employeur n’avait pas mis en œuvre de critères de licenciement ;
  • que la formation de la salariée lui aurait permis d’occuper d’autres fonctions d’encadrement dans l’entreprise ;
  • qu’elle avait été licenciée aussitôt après son retour de congé de maternité

la Cour a considéré que la salariée avait présenté des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination liée à son sexe, voire à sa récente grossesse.

On sait en effet que, contrairement aux règles habituellement applicables pour rapporter la preuve d’un fait ou d’une obligation, il n’appartient pas à la partie qui se plaint d’une discrimination d’en rapporter la preuve intégralement. Son rôle procédural consiste à « présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte » (3). Lorsque tel est le cas (comme en l’espèce) le code du travail prévoit « qu’au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination » (4).

Dans la présente affaire l’employeur prétendait qu’il n’avait pas discriminé l’intéressée car elle n’avait pas été la seule femme licenciée, d’autres femmes ayant été concernées par le plan de licenciement mis en place dans l’entreprise et qu’il avait licencié d’autres femmes pour motif économique antérieurement.

La Cour d’appel d’Angers fait litière de ces arguments en rappelant d’une part que l’employeur n’avait pas mis en œuvre les critères de licenciement et en retenant qu’il est inopérant de soutenir que d’autres femmes avaient été concernées par le licenciement économique collectif dont s’agit dès lors que l’intéressée était la seule femme licenciée dans sa catégorie professionnelle comme il est tout aussi indifférent que d’autres  » directrices  » aient pu être licenciées antérieurement.

La décision de la Cour d’appel d’Angers confirme également que les entreprises ne peuvent se retrancher derrière une qualité de cadre dirigeant attribuée sans respect des critères légaux d’appartenance à cette catégorie très spéciale de cadres pour échapper aux limitations de la durée du travail et des repos, donc au paiement d’heures supplémentaires.

B- Un accord collectif ne peut attribuer la qualité de cadre dirigeant dans des conditions moins exigeantes que les conditions légales

En l’absence d’accord collectif, c’est l’article L. 3111-2 du code du travail qui définit la notion de cadre dirigeant en indiquant que bénéficient d’une telle qualité ceux : « auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l’entreprise ou dans leur établissement ».

Cette définition ne figure dans le code du travail que pour préciser que les personnes concernées ne bénéficient ni de la législation relative à la durée du travail ni de celle relative aux repos journaliers et hebdomadaires, pas plus que de celle relative aux jours fériés.

Dans certains secteurs d’activité à forte amplitude horaire, la tentation est donc grande d’accorder la qualité de cadre dirigeant au plus grand nombre afin de ne pas avoir d’heures supplémentaires à régler, de s’affranchir des règles relatives aux repos et de voir les intéressés travailler sans contrepartie durant les jours fériés.

C’est manifestement le cas au sein des entreprises des industries de l’habillement dans lesquelles, le 1er décembre 1998, a été négocié un accord relatif à l’aménagement et la réduction du temps de travail prévoyant qu’ont la qualité de cadres dirigeants ceux qui :

  • « ont une rémunération au moins égale ou supérieure au coefficient 600 ;
  • et/ ou participent au comité de direction ;
  • et/ ou exercent des prérogatives de l’employeur par délégation directe ;
  • et/ ou ne votent pas aux élections professionnelles car assimilés, de par les pouvoirs qu’ils détiennent, à l’employeur. »

On observe immédiatement que cette définition est largement en retrait par rapport à celle du code du travail dont les critères sont cumulatifs et non alternatifs et qui exigent que la rémunération perçue soit parmi les plus importantes de l’entreprise.
Dans l’affaire qui lui était soumise l’employeur se prévalait de l’accord en question pour affirmer que la salariée concernée ayant la qualité de cadre dirigeant il n’avait aucune heure supplémentaire à lui régler.

Après avoir observé qu’alors que les critères légaux sont cumulatifs et que la jurisprudence a précisé que ne peuvent bénéficier de la qualification de cadres dirigeants que ceux qui participent effectivement à la direction de l’entreprise (5), la Cour d’appel d’Angers a rejeté l’argumentaire de l’employeur en rappelant que : « les dispositions de l’accord du 1er décembre 1998 ne peuvent pas faire échec aux dispositions légales en étant moins favorables pour le salarié quant à la définition du cadre dirigeant »

Elle en a donc logiquement tiré la conclusion que la salariée concernée pouvait prétendre au paiement d’heures supplémentaires.

Cette décision est caractéristique de la tendance actuelle des Cours d’appel de faire une application de plus en plus effective des dispositions légales en matière de preuve. Qu’il s’agisse de la preuve d’une discrimination, des heures de travail effectuées ou du temps de repos accordé…

Ces derniers mois, nous avons eu l’occasion de commenter plusieurs décisions allant dans ce sens :

  • l’une condamnant une banque à payer une indemnité importante (plus de 600.000 €) à un cadre qui, pendant des années, avait subi la discrimination homophobe de son employeur (6),
  • une autre facilitant fortement la preuve d’une inégalité de traitement,
  • et une autre la preuve du temps de travail

On ne peut qu’espérer que cette tendance s’étende aux conseils de prud’hommes car lorsqu’ils sont déboutés de toutes leurs demandes par les premiers juges, tous les salariés ne gardent pas confiance en leur avocat ou même en la justice.

Notes :

1) Arrêt de la Cour d’appel d’Angers du 16 avril 2013 sur Légifrance.
2) L’article L.1233-5 du code du travail prévoit notamment que l’employeur doit prendre en compte : 1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés, 2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise, 3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés, 4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.
3) Article L. 1134-1 et, en matière d’égalité hommes femmes L. 1144-1 du code du travail.
4) Ibidem
5) Cf. arrêt du 31 janvier 2012 n° 10-24412 et notre commentaire sur les cadres dirigeants et le temps de travail.
6) Notre commentaire publié sur les Echos.fr intitulé « Discrimination à l’encontre d’un cadre homosexuel : un arrêt pédagogique », le 29 avril 2013

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