24 septembre 2019 | Billets d’humeur | Procédure prud'homale | Prudhommes

Raz le bol d’un avocat défendant des salariés.

C’est une décision de la chambre sociale de la Cour de cassation qui m’a décidé à prendre la plume et à pousser ce coup de gueule :

Un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 27 mars 2019 (pourvoi : 18-10903)[1] casse fort opportunément un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux qui avait considéré qu’un jardinier travaillant pour un particulier était resté en CDD pendant onze ans alors qu’il avait été employé 8 heures par semaine (sans contrat écrit) tous les mois !

Comme le conseil de prud’hommes la Cour d’appel de Bordeaux avait considéré que les parties étaient liées par une succession de contrats à durée déterminée mensuels et débouté le salarié de ses demandes !

Comment les juridictions du fonds étaient-elles parvenues à un tel jugement ?

Elles avaient considéré que le fait que l’article L 1271-5 du code du travail autorise de ne pas rédiger de contrat de travail écrit lorsqu’un salarié travaille moins de 8 heures par semaine et qu’il est payé en chèques emploi services, leur permettait de considérer que la relation de travail entre les parties ne pouvait s’analyser en un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel  ; qu’il s’agissait donc en l’espèce d’un contrat de travail à durée déterminée à temps partiel renouvelable chaque mois et ce, même si la relation s’était poursuivie sans interruption depuis le 1er mai 1999 !

Quelle formation de la Cour d’appel de Bordeaux a rendu cette décision ? Etait-ce un juge unique (rapporteur) ou trois juges composant une formation plénière de la Cour d’appel ?

Fort heureusement, la Chambre sociale de la Cour de cassation a cassé cet arrêt inepte en rappelant que les textes qui régissent le recours au CDD sont d’ordre public et qu’il résultait des constatations de la Cour que le contrat de travail n’avait pas été conclu pour l’exécution d’une tâche temporaire, de sorte qu’il ne pouvait être à durée déterminée. Cette solution devait manifestement s’imposer dès le stade de la première instance.

Il est cependant trop fréquent que les conseils de prud’hommes (pas tous fort heureusement) rendent des décisions « étonnantes » qui laissent le juriste songeur et qui contraignent le justiciable à former appel d’un jugement qui est parfois injuste pour ne pas écrire partial !

Ainsi, alors que la justice est réputée être aveugle, l’intime conviction du juge semble trop souvent guidée par des considérations économiques plus favorables aux employeurs, en particulier lorsqu’il s’agit de particuliers et de petites et moyennes entreprises, qu’aux salariés.

Dans l’espèce commentée, l’employeur était un particulier. Nombreux seront ceux auxquels, en équité, il semblera « normal » qu’une juridiction de première instance ait hésité à condamner un particulier à payer une indemnité de licenciement relativement importante puisque le salarié allait avoir onze années d’ancienneté.

Cela peut sembler cohérent mais cela ne l’est absolument pas. D’abord, parce que, dans le cas d’espèce, c’est faire totalement abstraction des dispositions d’ordre public qui prévoient qu’un CDD ne peut être qu’un contrat écrit destiné à pourvoir temporairement à l’exécution d’une tâche dans des conditions limitativement énumérées par le code du travail et qu’il ne peut en aucun cas excéder 24 mois voire 36 mois pour certains CDD très particuliers (comme les CDD seniors par exemple).

Ensuite parce qu’il n’entre pas dans la fonction des juges d’inventer des règles et de faire dire à des textes ce qu’ils ne disent pas en jugeant que : « l’absence de contrat écrit autorisée par la loi en l’occurrence ne permet pas la requalification du contrat de travail en contrat à durée indéterminée quand bien même cette relation se serait poursuivie sans interruption depuis le 1er mai 1999 sauf à ajouter au texte une condition qu’il ne prévoit pas ».

Quelle condition ? Ce qui n’était déjà pas normal devant le conseil de prud’hommes devient choquant devant la Cour d’appel qui reprend à son compte cet argument alambiqué.

Encore une fois, quelles sont les considérations qui ont sous-tendu la conviction des juges et les ont conduits à juger ainsi ? L’employeur est un particulier et il ne faut pas qu’un arrêt d’appel donne des idées aux employés de maison et qu’ils se mettent en nombre à attaquer leurs employeurs et que nous soyons obligés de les condamner trop lourdement…

Quelle autre considération ?

Alors, aveugle la justice ou en train de regarder par-dessous son bandeau, s’il est opportun de condamner un particulier fortuné pouvant recourir aux services d’un jardinier 8 heures par semaine ?

Et si l’on regardait un peu du côté du salarié « remercié » sans indemnités après onze ans de bons et loyaux services ? Si on se posait un peu la question de savoir si cela n’aurait pas singulièrement arrangé son ordinaire s’il avait perçu l’indemnité de licenciement à laquelle il pouvait légalement prétendre ?

La situation est celle-là pour les salariés les plus humbles comme notre jardinier quand ils saisissent la justice. Est-elle plus reluisante pour les ouvriers et les cadres intermédiaires, pour les cadres-dirigeants et les expatriés ?

Absolument pas.

Pour les ouvriers et cadres intermédiaires

C’est sans doute la catégorie qui est la plus mal lotie car ses membres gagnent « trop » pour pouvoir bénéficier de l’aide juridictionnelle et très souvent pas assez pour pouvoir recourir aux services d’un avocat. La justice est réputée gratuite mais l’accès au droit ne l’est pas, loin s’en faut.

Cette catégorie subit donc tous les inconvénients des restrictions successives qui sont venues grignoter les droits des salariés et leurS chances de voir leur préjudice pris en compte par les juridictions.

Pour les cadres-dirigeants et les expatriés

Ces catégories représentent près de 2,5 millions de personnes (plus de 2 millions de travailleurs expatriés et près de 15.000 cadres dirigeants). Pour une fois, ces catégories ne peuvent absolument pas être considérées comme privilégiées. En effet, il n’y a aucune section formée pour juger les différends entre les cadres dirigeants ou les expatriés devant aucun, conseil de prud’hommes. Cette absence est lourde de conséquences. Comment juger efficacement quand on ne connait pas les modes de rémunérations alloués aux cadres dirigeants ou aux expatriés ? Comment plaider sereinement lorsqu’on a l’impression de se trouver face à 4 juges hostiles. Des conseillers du collège salarié qui considèrent votre client au mieux comme un « privilégié » et au pire comme un « patron » et des conseillers du collège employeurs qui se demandent pourquoi et comment un cadre-dirigeant peut se retrouver à laver son linge sale devant un conseil de prud’hommes…

La situation est tellement caricaturale qu’elle nous conduit à annoncer à nos clients, dès le premier rendez-vous, qu’en cas de contentieux, leur affaire ne pourra être gagnée que devant la Cour d’appel ! Quelle image de la justice cela peut-il donner ?

Pourtant ces populations, considérées comme privilégiées, peuvent tout aussi légitimement que les autres, revendiquer le droit d’avoir accès à une justice impartiale et de qualité.

Dans la réalité il n’en n’est rien.

Résultat de la situation ? Trop souvent ces populations sont déboutées de toutes leurs demandes en première instance et ne gagnent leur procédure qu’en cause d’appel. Entre temps, tout le monde y a perdu sauf l’employeur :

  • Le salarié concerné bien entendu puisqu’il devra engager de nouveaux frais de justice (avocat, avocat spécialisé en procédure d’appel…) ;
  • La justice puisque l’affaire va continuer à encombrer le rôle de la juridiction d’appel alors qu’il n’en aurait rien été si l’affaire avait été correctement jugée dès le départ ;
  • L’avocat du salarié qui se décrédibilise lorsqu’il explique à son client qu’en France « c’est comme ça » que les cadres de haut niveau ne gagnent que très exceptionnellement devant les conseils de prud’hommes…

 

Ces considérations nous conduisent à nous demander pourquoi tant de juges considèrent qu’ils sont investis d’une mission sacrée de protection de l’entreprise ? La tendance était même, un temps, montée jusqu’au sommet des juridictions avec des arrêts étonnants de la chambre sociale de la Cour de cassation par exemple l’arrêt du 28 février 2018[2] rendu dans l’affaire opposant des syndicats à la société Wolters Kluwers qui était accusé d’avoir mis en place une fraude à la participation. Or, alors que les faits étaient solidement établis, la Cour de cassation a considéré que le montant du bénéfice net devant être retenu pour le calcul de la réserve de participation qui avait été certifié par une attestation du commissaire aux comptes de la société, dont les syndicats ne contestaient pas la sincérité, ne pouvait être remis en cause dans un litige relatif à la participation, quand bien même l’action des syndicats était fondée sur la fraude ou l’abus de droit invoqués à l’encontre des actes de gestion de la société). Dans les mois qui ont suivi, la presse[3], suivie par un ancien président de la Chambre sociale de la Cour de cassation[4], à dénoncé le fait que trois des 10 magistrats qui composaient la formation ayant rendu cette décision étaient rémunérés par la société Wolters Kluwers pour laquelle ils donnaient des conférences…

 

Il est vrai que le pouvoir judiciaire peut facilement être inspiré par l’Etat et le législateur qui, alors que le droit du travail est réputé rétablir l’équilibre qui fait nécessairement défaut dans une relation dans laquelle il y a une « subordonné » et un « supérieur » fut-ce hiérarchique, s’emploient, depuis des années, à voter des textes qui rognent ceux qui permettaient aux salariés, qui avaient parfois rongé leur frein pendant de nombreuses années, de percevoir une indemnisation partielle lorsque la relation de travail était rompue.

 

L’Etat d’abord qui consacre à la justice un budget honteux pour une nation telle que la France (6ème économie mondiale) avec un budget de 64,5 € par habitant pour la justice là où, par exemple, l’Allemagne en consacre 122 €, les Pays-Bas 119 € et la Suède 118 € !

 

Cette carence budgétaire se traduit par un cruel manque de juges notamment en Ile de France où le contentieux est le plus important, manque de juges qui se traduit lui-même par des délais de procédure toujours plus longs, par des textes prévoyant des délais abrégés qui ne sont jamais respectés. Or, l’effectivité du droit à un procès rendu dans un délai raisonnable est une prérogative mise à la charge de l’Etat par les textes internes et européens. Ainsi, alors que l’article R. 1454-29 du Code du travail du code du travail prévoit que l’affaire d’un justiciable doit être plaidée dans le mois qui suit une décision de départage (c’est-à-dire faute d’entente entre juges prud’homaux), notre cabinet vient de recevoir une convocation pour le mois de novembre 2019 alors que l’affaire avait été plaidée une première fois devant le conseil de prud’hommes de Bobigny en octobre 2017. Deux ans alors que la loi exige que l’affaire soit plaidée dans le délai d’un mois !. Une telle dérive est malheureusement systématique en Ile de France et tient au manque persistant de moyens alloués par l’Etat en termes de magistrats professionnels détachés pour ces audiences de départage. Et ce malgré le fait qu’un délai excessif de trois ou quatre années dans le rendu du jugement prud’homal caractérise, selon la jurisprudence, un dysfonctionnement grave du service public de la justice qui engage la responsabilité de l’Etat pour « déni de justice » justifiant l’allocation de dommages et intérêts (de quelques milliers d’euros) aux justiciables (par exemple TGI Paris, 18 janvier 2012, n°11/02506 et suivants ; TGI Paris 5 juin 2013 n°12/04402). Cependant, rares sont les justiciables à se lancer dans une nouvelle procédure judiciaire, aux fins d’indemnisation, après être restés dans l’attente d’une décision de justice pendant des années. Certains ont même perdu confiance dans les capacités de l’institution judiciaire à répondre à ses missions... En fait, les gouvernements successifs s’emploient à ne pas traiter le problème et spéculent sur la patience des gens. Cela fonctionnera peut-être encore quelques temps mais on ne peut accepter de vivre dans l’une des nations ou le taux de prélèvement est l’un des plus élevé sans avoir une justice qui soit positionnée au même niveau que celui des nations qui allouent à la justice les moyens dont elle a besoin.

Pendant ce temps, l’entreprise qui a passé une provision depuis la date d’introduction de la procédure profite de sa trésorerie pendant que le salarié attend son dû !!

 

Poursuivant sur cette lancée, le législateur y va également de ses couplets successifs et modifient les règles de droit et de procédure dans un sens toujours plus restrictif et contraignant pour les salariés. Oh, il ne sert à rien de jeter la pierre à la majorité d’Emmanuel Macron, il en a été ainsi durant toutes les majorités que ce soit celles des présidences Chirac[5], Sarkozy[6], Hollande, ou Macron….

 

Il en a été ainsi de la modification des règles de prescription qui autorisaient à demander le paiement d’heures supplémentaires jusqu’à 5 ans en arrière puis trois ans seulement depuis la loi sur la sécurisation de l’emploi du 17 juin 2013. Rappelons qu’en 2013 la majorité était celle de François Hollande et que pas un syndicat n’est monté au créneau pour s’insurger. Il est vrai que l’action en réparation d’une discrimination (syndicale par exemple) n’est pas concernée par cette diminution du délai de prescription et que les représentant syndicaux peuvent demander des rappels de salaire sur l’intégralité de leur carrière… De là à penser qu’il y a une relation de cause à effet et que c’est comme ça qu’on a acheté la paix syndicale…

 

Mais cette réforme de la prescription, qui a fait économiser des millions d’euros aux entreprises qui ne payaient pas les heures supplémentaires de leurs salariés était-elle juste ? Etait-il déjà juste, pour des personnes quj avaient accompli des heures supplémentaires durant toute leur carrière de ne pouvoir en demander le paiement que sur 5 ans ? Et maintenant sur 3 ans ?

 

Quel intérêt le législateur devrait-il défendre ?

 

Celui d’employeurs qui savent très bien qu’ils devraient payer les heures supplémentaires mais feignent de l’ignorer pour minorer leurs coûts ou celui de salariés qui, placés sous la subordination de leur supérieur hiérarchique sont bien obligés de faire ce qu’on leur demande ? Quelles sont les conséquences de la mansuétude dont bénéficient qui ne respectent pas les règles vis-à-vis de celles qui jouent le jeu et paient les heures supplémentaires qui ont été effectuées ? Ces dernières subissent de plein fouet le comportement des fraudeurs qui, ayant moins de charges, peuvent se permettre de leur faire une concurrence parfaitement déloyale en pratiquant des prix moins élevés que leurs concurrents légalistes. Si quelques entreprises tricheuses étaient lourdement condamnées il y a fort à parier que la peur du « gendarme judiciaire » jouerait un rôle vertueux et rétablirait l’égalité entre les entreprises.

 

Cette inégalité des chances s’est accrue avec les réformes successives de la procédure prud’homale devant toutes les juridictions.

 

Devant la Cour de cassation d’abord où les salariés pouvaient intervenir et déposer leurs mémoires en demande ou en défense sans avoir nécessairement recours à un avocat à la Cour de cassation (procédure sans représentation obligatoire) jusqu’à une réforme qui date d’un décret du 20 août 2004[7]. La suppression de cette faculté d’accéder à la justice, en étant assisté de juristes moins coûteux que les avocats au conseil d’Etat et à la Cour de Cassation, a diminué le nombre de pourvois enregistrés dans les années qui ont suivies (ainsi, en 2005, le nombre de pourvois en cassation enregistrés en matière civile n’était plus que 18.830 contre 21.965 en 2004) mais est-ce un signe de bonne santé de la justice ? Une prochaine réforme de la procédure civile devant la cour de cassation semble se profiler (une commission de réflexion mise en place par la Garde des Sceaux y travaille). Il est peut-être à craindre qu’elle ne vienne restreindre encore davantage l’accès des justiciables à cette juridiction en matière civile et sociale (notamment en cas de mise en place d’une procédure de filtrage des pourvois en cassation).

 

De la même façon, la saisine prud’homale a été singulièrement complexifiée par une réforme du 6 août 2015 (Décret du 20 mai 2016) qui, depuis le 1er août 2016, fait désormais obligations aux parties non seulement de détailler et d’argumenter sommairement leurs demandes, mais aussi de communiquer, avec l’acte de saisine, leurs pièces probantes en un exemplaire pour la juridiction et, en outre, en autant d’exemplaires qu’il y a de défendeurs (article R.1452-2 du code du travail). Cette réforme a été présentée comme permettant de rééquilibrer les rapports entre les salariés et les employeurs dont il était dit qu’ils devraient eux aussi communiquer leurs pièces avant l’audience du bureau de conciliation et d’orientation et ne pourraient plus adopter un comportement dilatoire devant les conseils de prud’hommes. Il n’en a rien été. L’inégalité entre les parties est même plus criante qu’auparavant puisque les employeurs ne sont pas sanctionnés s’ils ne communiquent pas leurs pièces et qu’ils ne se privent donc pas de s’en abstenir. L’accélération voulue de la communication des pièces n’a donc pas pour effet d’accélérer la procédure, elle n’est suivie d’aucun effet.

 

Autre conséquence (voulue celle-là) de cette réforme de la procédure, elle a entrainé une baisse très importante du nombre de saisines prud’homales car la complexité des règles imposées aux demandeurs a découragée bon nombre de défenseurs syndicaux qui ont décidé de ne plus saisir les juridictions. Ainsi, le nombre d’affaires introduites devant les conseils de prud’hommes a été divisé par deux en 20 ans selon le comité d’évaluation des lois travail. Cette instance, pilotée par le ministère du travail, observe que la chute des saisines s’est accentuée à partir de 2016, les litiges sont passés de 184.000 fin 2015 à 150.900 fin 2016, puis à 127.000 en 2017. Le même constat (baisse de 45% des saisines prud’homales depuis 2005) est dressé par trois sénatrices qui ont récemment rédigé un rapport, comprenant 46 propositions, pour l’amélioration de la justice prud’homale, avec des préconisations visant à rendre les conseils de prud’hommes plus accessibles et plus fluides[8].

 

Le législateur ne doit cependant pas toujours être incriminé. Parfois des dispositions destinées à assurer une procédure rapide sont votées. Il en a été ainsi le 1er juillet 2014 avec la loi relative à la procédure applicable devant le conseil de prud’hommes dans le cadre d’une prise d’acte de rupture du contrat de travail qui a ajouté l’article L 1451-1 au code du travail selon lequel, en cas de prise d’acte, le conseil de prud’hommes statue sur le fond dans le délai d’un mois[9]. Les termes de l’article reproduit en note de bas de page sont tout à fait clairs et l’intention du législateur (une fois encore, la majorité de François Hollande) était cette fois louable sauf que, dans la pratique, dans la région Ile de France, le délai d’un mois n’a jamais été respecté ! Par exemple, pour un salarié qui a pris acte de la rupture de son contrat de travail au mois de juillet 2019 et a saisi le conseil de prud’hommes de Créteil peu de temps après. L’affaire a été audiencée le 24 septembre 2019 et a fait l’objet d’un renvoi au 15 octobre suivant, l’avocat de l’employeur ne s’étant manifesté que quelques jours avant l’audience en prétendant qu’il venait d’être saisi du dossier (pour reconnaître à la barre qu’il en avait été saisi dès le mois de juillet). Quel est le résultat de cette situation ? Le salarié qui a été poussé à prendre acte de la rupture de son contrat de travail ne perçoit pas d’indemnité de Pôle Emploi et vit donc sur l’indemnité compensatrice de congés payés qui lui a été remise lorsqu’li a pris acte de la rupture de son contrat. Cette indemnité qui ne représente qu’un mois de salaire n’est cependant pas extensible et le salarié va « galérer » dans l’attente d’un geste de Pôle Emploi qui pourrait accepter de le prendre en charge après

 

Dans la sixième nation parmi les plus puissantes du monde, l’accumulation de ces atteintes et dysfonctionnements n’est pas fortuite. La volonté est, à l’évidence, de ne pas consacrer plus d’argent à la justice et donc d’assumer les dysfonctionnements et l’allongement des délais en tentant d’y remédier non pas en recrutant des magistrats mais en dissuadant les salariés de s’adresser à la justice.

 

C’est tout simplement scandaleux.

 

Tout cela ne suffisait pas, il en encore été considéré qu’il fallait modifier la procédure d’appel en matière prud’homale et renoncer à la procédure simplifiée qui ne posait aucun autre problème que celui du principe de l’unicité de l’instance qui obligeait les parties à présenter toutes les demandes relatives à leur contrat de travail dans une seule et même instance. Il a donc été décidé d’adopter en matière prud’homale les mêmes règles que celles qui étaient applicables aux appels des affaires relevant du Tribunal de Grande Instance. Or, ces règles se traduisent par une complexité procédurale qui requiert les connaissances qui étaient celles des avoués, dont la profession a été supprimée, à compter du 1er janvier 2012, suite à la loi du 25 janvier 2001, et qui ont été indemnisés par l’Etat du fait qu’ils ont perdu les charges qui leur étaient allouées.

 

Que sont-ils devenus ? Et bien grâce à la modification de la procédure prud’homale, eux vont très bien. Ils sont devenus avocats spécialistes de la procédure d’appel et le coût de leur intervention, quand ils sont sollicités, s’ajoute bien entendu à celui de l’avocat choisi par le salarié. La procédure prud’homale (qui leur échappait quand ils étaient avoués car la procédure était plus simple) représente plus de la moitié de leur chiffre d’affaires. Rendre la procédure plus complexe et en rendre son coût plus onéreux est un excellent moyen, pour l’Etat assisté par le législateur, de dissuader le salarié de poursuivre en appel.

 

En effet, neuf fois sur dix le salarié a des difficultés professionnelles et se trouve dans une situation précaire. Ce n’est donc qu’au prix de sacrifices importants qu’il peut poursuivre la procédure intentée contre son employeur devant la Cour d’appel (alors que le contentieux du droit du travail est celui qui est le plus « consomateur » en termes d’appel).

 

Quel bel exemple de prise en charge du besoin de justice ! Il n’y a pas assez de magistrats ? Poussons les justiciables hors des tribunaux et tout ira mieux. Un gigantesque foutage de gueule gouvernemental et législatif.

 

Mais tout cela ne suffisait pas, il était encore nécessaire de se mettre au chevet des entreprises et de prendre des ordonnances limitant le montant des dommages et intérêts pouvant être alloués aux justiciables qui saisissaient les conseils de prud’hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Une fois encore, le gouvernement et le législateur ne font pas confiance à la justice – dont ils ont peur qu’elle se rappelle qu’elle est censée être aveugle – en matière de chiffres et plus particulièrement lorsqu’elle a la possibilité de condamner des entreprises et ce, même si ces dernières licencient indûment leurs salariés.

 

Avant le vote de ces ordonnances du 22 septembre 2017, la loi prévoyait que le montant minimum des dommages et intérêts auxquels pouvait prétendre un salarié était de 6 mois dès lors qu’il avait plus de deux ans d’ancienneté et que l’entreprise comportait plus de 10 salariés.

 

Après le vote du fameux barème Macron, le minimum que peut accorder un conseil de prud’hommes est fixé à rien dans le pire des cas ou à 3 mois de salaire que l’on ait 2 ans ou 20 ans d’ancienneté….

 

Pourquoi aller devant un conseil de prud’hommes quand on pense qu’on n’obtiendra pas une décision avant au moins 18 mois ou presque 4 ans en cas d’appel et pour se voir allouer, au minimum, 3 mois de salaire ?

 

Une fois encore les conséquences de ce nouveau recul ne se sont pas faîtes attendre et le nombre de saisines prud’homales a chuté en 2018 (120 000 saisines fin 2018 contre 127.000 fin 2017).

 

La question de la légalité de ces ordonnances s’est posée et plusieurs conseils de prud’hommes les ont jugées non-conformes aux règles de la convention 158 de l’OIT et à l’article 24 de la charte sociale européenne.

 

La question a été transmise, par deux conseils de prud’hommes, à la Cour de cassation pour qu’elle rende un avis sur le sujet. Curieusement, la question n’a pas été présentée à la chambre sociale de la Cour de cassation mais à l’assemblée plénière qui a rendu un avis, à la motivation pour le moins succincte, validant les ordonnances dites Macron. Aurait-on eu peur que la chambre sociale rende un avis différent si elle avait été saisie ? La question se pose et poser la question c’est déjà y répondre un peu… Quoiqu’il en soit, les conseils de prud’hommes de Grenoble (jugement de départage du 22 juillet 2019) et du Havre (jugement du 10 septembre 2019) ont considéré ne pas être liés par les avis de la Cour de Cassation et ont écarté le plafonnement du barème Macron. Les premières décisions de cours d’appels sont attendues prochainement.

 

 

Plus qu’un commentaire de l’arrêt du 27 mars 2019 (pourvoi n° 18-10903) abordé au début de ces quelques lignes ce texte est un coup de gueule d’un avocat qui a passé plus de 30 ans de sa carrière à défendre tous types de salariés avant, de représenter des dirigeants et des expatriés. Pendant ces trente années, il a pu constater que les choses régressaient, que les délais s’allongeaient et que les conditions dans lesquelles les départs intervenaient étaient de plus en plus dures. Il y a de trop nombreux signes qui montrent que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie, sont considérés comme des justiciables au rabais auxquels ont consent d’abandonner une justice sans moyens et sans assez de juges.

 

Le sentiment d’injustice étant l’un des plus humiliants, il participe à n’en pas douter à l’émergence de mouvements de protestation qui pourraient bien reprendre de plus belle prochainement.

 

Y a-t-il des solutions pour que la situation s’améliore ?

 

A notre sens il y en aurait quelques-unes qui pourraient s’avérer efficaces rapidement :

 

  • Rendre facultative la phase de conciliation lorsque le demandeur ne la souhaite pas. Il en résulterait un allègement immédiat du nombre d’audiences de conciliation qui libèrerait de nombreux conseillers et greffiers pouvant participer à des audiences de jugement ;
  • Recrutement d’un nombre suffisant de magistrats professionnels permettant leur présence à toutes les audiences (y compris celles des tentatives facultatives de conciliation) ;
  • Instauration de procédures d’extrême urgence devant les conseils de prud’hommes comme il en existe devant tous les tribunaux de commerce ou civil (procédure d’heure à heure ou à jour fixe autorisée sur requête) ;
  • création de sections spécialisées avec formation des magistrats aux problématiques des cadres-dirigeants et des expatriés devant les conseils de prud’hommes ayant le plus grand nombre de contentieux de ce type avec instauration de règles de compétence dérogatoire pour les expatriés dont les entreprises relèvent normalement d’un conseil de prud’hommes sans section spécialisée (cela concerne tout de même près de 150.000 cadres-dirigeants et près de 2 millions d’expatriés).
  • Retour à la procédure orale devant les juridictions d’appel (sans retour obligatoire au principe de l’unicité de l’instance) ;

[1] www.legifrance.gouv.fr/

[2] Cass Soc. Pourvoi V 16-50015

[3] Alternatives Economiques 18/04/2018

[4] Président Pierre Sargos, la semaine juridique, édition générale, n° 24, 11 juiçn 2018, pages 1150 et suivantes

[5] Avec la loi du 04 janvier 2002 qui modifiait les règles de preuve en matière de harcèlement moral

[6] Avec la loi de finance rectificative Du 29 juillet 2011 qui avait instauré l’obligation de joindre un timbre fiscal à 35€ à toute saisine prud’homale.

[7] Sous la présidence de Monsieur Jacques Chirac

[8] Lire sur Senat.fr

[9] Article L1451-1 du code du travail : Lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine.

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