Le 21 novembre, la Chambre sociale de la Cour de cassation a prononcé une décision extrêmement intéressante (1) à plusieurs égards pour les expatriés, car ces salariés lointains rencontrent très fréquemment des difficultés à l’occasion de la mise en œuvre de l’obligation de réintégration qui pèse sur leur employeur à la fin de leur expatriation.
Comme elle le fait parfois, la haute juridiction a profité de cette affaire pour apporter une précision d’importance concernant un autre thème récurrent du droit du travail, en l’espèce la prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
Les précisions concernant plus particulièrement les expatriés sont relatives aux conditions de leur réintégration dans la société mère et à leur indemnisation en cas de licenciement (A)
On sait, en effet, que l’article 1231-5 du Code du travail (2) met à la charge de la maison mère ayant expatrié un salarié, l’obligation d’assurer son rapatriement et de lui procurer un nouvel emploi en cas de licenciement par la filiale étrangère qui l’employait. Le Code du travail précise que le nouvel emploi doit être « compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions en son sein ».
Cette disposition fait l’objet d’un contentieux aussi récurrent qu’important, tant il est fréquent que les entreprises, qui semblent ne pas anticiper le retour de leurs expatriés, leur proposent des postes « bouche-trou » sans leur donner de précisions suffisantes sur l’évolutivité de leur situation voire même sur les conditions de leur rémunération. Face à ce constat, la chambre sociale précise :
1) Les conditions relatives à l’offre d’un nouvel emploi ;
2) Que l’acceptation du travailleur expatrié ne peut être tacite ;
3) Et qu’en cas de licenciement, la rémunération prise en compte pour le calcul de l’indemnisation est celle que percevait le salarié pendant son expatriation.
* Celle qui concerne tous les salariés prenant acte de la rupture de leur contrat de travail revêt une importance pratique considérable, la Cour de cassation indiquant que la prise d’acte peut-être légitimée, même si le salarié prenant acte de la rupture de son contrat de travail trouve un emploi presque aussitôt après (B).
A) Les précisions concernant les conditions de réintégration des expatriés
1) L’offre d’un nouveau poste doit être, précise, sérieuse et compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions au sein de la société mère
Cette exigence s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence actuelle de la chambre sociale de la Cour de cassation concernant les critères qualitatifs que doivent remplir les offres en cas de réintégration ou de reclassement (après un accident du travail ou une maladie professionnelle, une maternité ou un congé parental…). Le salarié doit pouvoir se prononcer en toute connaissance de cause. Elle devrait en tout cas permettre d’éviter aux expatriés de se voir proposer des postes au rabais.
2) L’acceptation du travailleur expatrié ne peut être tacite
La lecture des moyens de cassation évoqués par l’employeur (joints à l’arrêt commenté sur le site Légifrance) fait ressortir que lorsque l’offre a été formulée par son employeur, le salarié expatrié ne l’avait pas refusée clairement, qu’il avait posé des questions et avait fait part d’une certaine proactivité en formulant des propositions opérationnelles.
L’employeur soutenait que ce comportement s’analysait en une acceptation tacite de l’offre de reclassement, acceptation nécessairement antinomique avec la prise d’acte du contrat de travail.
La chambre sociale, relevant que l’intéressé n’avait donné aucun accord exprès, balaie cet argument d’une phrase. L’acceptation du nouveau poste doit donc nécessairement être expresse.
3) En cas de licenciement, la rémunération prise en compte pour le calcul de l’indemnisation est celle que percevait le salarié pendant son expatriation
Dans son deuxième moyen (subsidiaire) de cassation, l’employeur reprochait à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris d’avoir considéré que l’expatrié était fondé à demander que le calcul des indemnités de rupture lui étant dues soit effectué sur la base du dernier salaire perçu dans le cadre de ses fonctions sur son lieu d’expatriation (en l’espèce au Brésil).
Cette demande, qui pose difficulté pratiquement dans tous les dossiers ayant trait à un licenciement prononcé lors d’un retour d’expatriation, revêt une grande importance pratique, les employeurs tentant fréquemment de calculer les indemnités dues sur la base des revenus que percevait l’expatrié, avant son départ en expatriation ou de ceux qu’ils lui proposent à son retour d’expatriation.
Or, si l’article 1231-5 du Code du travail prévoit que l’employeur doit proposer un nouvel emploi compatible avec les fonctions précédemment exercées dans la maison mère, il ne déroge pas à la règle selon laquelle les indemnités versées à un salarié doivent être calculées sur la base des salaires perçus au cours des douze ou des trois derniers mois de travail (la moyenne la plus favorable au salarié devant être retenue). Cette précision était souhaitable, car elle permet de compenser partiellement l’importance de la perte de revenus (et de niveau de vie) que connaissent les expatriés à leur retour sur le territoire national.
En l’espèce, la Cour de cassation a donc approuvé la Cour d’appel d’avoir retenu un salaire incluant les primes de scolarité, d’allocations familiales, de correction de l’inflation, le bonus payé localement auxquels s’ajoutait la prime d’expatriation versée en France et la prime exceptionnelle de retour versé au salarié à la fin de son expatriation définissant ainsi une rémunération mensuelle moyenne de 24 325 €.
Même si des disparités vont subsister et qu’il sera nécessaire d’expliquer au cas par cas pourquoi tel ou tel avantage doit être incorporé à la rémunération à retenir (en cas de prise en charge par l’employeur d’impôts sur le revenu prélevés à la source, de paiement de sommes au titre d’un régime de retraite par capitalisation, de prise en charge d’un appartement de fonction…), la décision commentée ne peut qu’être approuvée.
B) Le dernier apport de cette décision, qui justifiera la rédaction d’un article spécifique, concerne tous les salariés qui prennent acte de la rupture de leur contrat de travail
On sait qu’un salarié qui a des griefs à faire valoir à l’encontre de son employeur a la possibilité de prendre acte de la rupture de son contrat de travail. Ce mode alternatif de rupture du contrat de travail, qui a été consacré par la jurisprudence, est particulier en ce que la partie qui prend l’initiative de la rupture (le salarié) impute la responsabilité de cette rupture à son employeur (on a parlé pendant une certaine période d’autolicenciement).
La jurisprudence a fixé les règles applicables à la prise d’acte et, selon que les juges décident qu’elle est légitime ou pas, elle emporte les conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (allocation au salarié de toutes les indemnités de rupture et de dommages et intérêts) ou d’une démission, voire d’une démission abusive (le salarié pouvant alors être condamné à payer des dommages et intérêts à son employeur).
Le contentieux est donc abondant et, pour faire juger que la prise d’acte du contrat de travail n’est pas légitime, les employeurs recherchent fréquemment si leur ancien salarié a retrouvé un emploi rapidement après avoir pris acte de la rupture. Lorsque tel est le cas, ils font plaider que la prise d’acte n’était pas légitime, car elle procédait d’une stratégie du salarié qui n’évoquait des griefs vis-à-vis de son employeur qu’afin de quitter l’entreprise en faisant condamner son employeur alors qu’il avait déjà retrouvé un nouvel emploi. Force est de constater que les conseils de prud’hommes, sensibles à ce type de raisonnement, ont débouté nombre de salariés en retenant cet argumentaire.
C’est précisément ce qui s’était passé dans le cas d’espèce, puisque le conseil de prud’hommes avait débouté le salarié de toutes ses demandes. La cour d’appel en revanche avait considéré que la proximité (un mois) entre la prise d’acte et le recrutement du salarié dans une banque concurrente n’était pas une circonstance privant la prise d’acte de légitimité.
La dernière branche du premier moyen de cassation reprochait donc à la Cour d’appel d’avoir statué en ce sens « sans vérifier ni rechercher comme il lui était demandé si le véritable motif de la prise d’acte n’était pas le fait que le salarié avait accepté, avant cette prise d’acte, de prendre la direction d’une autre société au Brésil, la Banque Safra, ainsi qu’en attestait le fait qu’il ait pris ses nouvelles fonctions au sein de cette banque dès le 9 février 2007 en qualité de superintendant exécutif ».