10 décembre 2021 | Expatriés

Reclassement après une expatriation. Le cas particulier des ingénieurs et cadres de la métallurgie

On sait que l’article L. 1231-5 du code du travail met deux obligations à la charge des sociétés mères lorsque les salariés qu’elles ont envoyés en expatriation au sein de l’une de leurs filiales à l’étranger sont licenciés par ladite filiale ; une obligation de rapatriement et une obligation de reclassement (ou de réemploi) [1].

Le principe de l’obligation de rapatriement pose assez rarement problème. Les conditions de sa mise en œuvre sont en revanche plus problématiques du fait des difficultés que peut occasionner un déménagement rapide depuis l’étranger lorsque les enfants de l’expatrié sont scolarisés ou lorsque son conjoint a trouvé du travail dans le pays d’accueil. Ceci est vrai dans toutes les situations y compris lorsque l’expatriation n’intervient pas entre une mère et une filiale. Rappelons à cet égard que l’article R. 1221-34 du code du travail prévoit qu’en cas d’expatriation d’une durée supérieure à un mois (autant dire dans tous les cas), le document remis par l’employeur au salarié, doit mentionner les conditions du rapatriement. Il convient donc d’être très attentif à ce point avant le départ en expatriation.

L’obligation qui pose les difficultés les plus fréquentes est l’obligation de réemploi. Le texte précité prévoit en effet que l’entreprise « expatriante » (société mère) doit procurer à l’expatrié de retour : « un nouvel emploi compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions en son sein ».

Nous avons déjà eu l’occasion d’écrire que cette disposition, a priori favorable aux expatriés, pose problème dès que l’expatriation a été assez longue car, dans ces cas-là, il devient inéquitable de ne pas tenir compte de l’expérience acquise durant l’expatriation et de se borner à proposer à l’expatrié de retour un poste de réemploi comparable à celui qu’il occupait avant de partir (c’est-à-dire des années auparavant).

La pratique montre que nombre d’entreprise s’en tiennent à la lettre de l’article L 1235-1 du code du travail voire évoquent toutes sortes d’arguments soit pour éviter purement et simplement le retour des expatriés dans leurs effectifs, soit pour leur proposer des conditions de travail et de rémunération ne tenant aucun compte de l’expérience acquise durant leur période d’expatriation.

C’est précisément ce qu’a fait l’entreprise Instruments Division Jobin Yvon (qui a changé de nom depuis qu’elle a été intégrée au groupe Horiba) dans l’affaire qui intéresse ce commentaire. Elle faisait effectivement plaider qu’elle s’était parfaitement conformée aux dispositions de l’article L. 1231-5 du code du travail puisque la proposition de réemploi qu’elle avait formulée était « compatible avec l’importance des précédentes fonctions de l’expatrié avant qu’il ne parte au Brésil en son sein » (plus de 5 ans plus tôt).

Le salarié avait pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur (ce qui a eu pour effet de rompre immédiatement le contrat) et demandé au conseil de prud’hommes de juger que cette prise d’acte devait emporter les mêmes conséquences qu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En première instance, l’affaire avait été plaidée devant un juge départiteur[2] qui avait donné raison au salarié et condamné l’employeur à lui payer d’importantes sommes.

L’entreprise a formé appel de ce jugement en soutenant (sincèrement ou pas) qu’en application de l’article L 1231-5 du code du travail, elle pouvait proposer à l’expatrié un poste dont les caractéristiques étaient proches de celle du poste qu’il occupait avant son départ en expatriation. Elle faisait soutenir que tel était le cas, et la Cour d’appel de Paris lui a donné raison en fondant sa décision sur les dispositions de l’article 1231-5 du code du travail et en jugeant qu’il résultait des éléments présentés par les parties « que l’employeur à proposé à Monsieur X un poste compatible avec celui qu’il occupait antérieurement à son départ au Brésil »[3]. En conséquence, la Cour d’appel a fait produire les effets d’une démission à la prise d’acte et remis en cause les condamnations dont avait bénéficié le salarié.

Les choses auraient pu en rester là mais, bien conseillé, l’expatrié n’avait pas visé le seul article L. 1231-5 du code du travail dans ses conclusions d’appel. Il avait également fait observer qu’en présence d’une expatriation entre sociétés sœurs, l’article L. 1231-5 du code du travail n’a pas vocation à s’appliquer mais qu’en l’espèce il fallait faire application des dispositions de l’article 9 de l’annexe II de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie aux termes duquel : « Dans sa politique d’expatriation d’ingénieurs ou de cadres, l’entreprise devra tenir compte des perspectives de réinsertion ultérieure des intéressés dans l’un de ses établissements de métropole afin de pouvoir les affecter dès leur retour à des emplois aussi compatibles que possible avec l’importance de leurs fonctions antérieures à leur rapatriement… ».

 

Le salarié a donc formé un pourvoi en cassation et la Chambre sociale lui a donné raison[4] et cassé l’arrêt d’appel en relevant qu’il appartenait à la cour d’appel de comparer le nouvel emploi non pas avec celui que l’intéressé occupait avant son expatriation mais avec les fonctions qu’il occupait au Brésil avant son rapatriement. Comme on peut le voir à la lecture de l’arrêt, la Cour de cassation n’a pas fondé sa décision sur les dispositions de l’article L 1231-5 du code du travail mais uniquement sur celles de l’annexe II de la convention collective des Ingénieurs et Cadres de la métallurgie.

Une fois encore, l’affaire aurait pu en rester-là, l’entreprise pouvant s’attendre à être condamnée par la Cour d’appel de renvoi mais visiblement les parties n’ont pu trouver un accord et la société employeur a saisi la cour d’appel de renvoi.

L’affaire est donc revenue devant la Cour d’appel de Paris autrement composée qui a rendu un arrêt[5] particulièrement bien motivé.

La société employeur qui avait un peu modifié son argumentaire à cette occasion soutenait désormais que le poste qu’elle avait proposé en France était compatible tant avec les exigences du code du travail qu’avec celles de la convention collective, en d’autres termes qu’il était compatible avec les fonctions exercées par l’expatrié au Brésil.

Suivant à la lettre la méthode d’analyse in concreto préconisée par la Cour de cassation, la cour d’appel a comparé le nouvel emploi proposé non pas avec celui que le salarié occupait avant son expatriation mais avec celui qu’il occupait dans le pays d’accueil, avant son retour d’expatriation.

Elle s’est donc tout d’abord attachée à rechercher quelles étaient les caractéristiques des fonctions du salarié au sein de la société dans laquelle il avait été expatrié (au Brésil) avant de les comparer à celles qui lui étaient proposées en France, au retour d’expatriation, et constater que :

  • Sur la rémunération que, quels que soient les résultats qu’il obtiendrait dans ses nouvelles attributions, sa rémunération serait largement inférieure à celle qui lui était payée durant sa période d’expatriation ;
  • Sur les fonctions exercées que si le poste à responsabilités dont il disposait durant sa période d’expatriation lui conférait des fonctions de cadre-dirigeant doté d’une très large autonomie et ayant un large spectre d’actions, celles qui lui étaient proposées en France réduisaient considérablement son autonomie et ses responsabilités et le plaçaient à un niveau hiérarchique inférieur à celui qu’il avait occupé pendant 17 ans.

La Cour d’appel en a donc déduit que les caractéristiques du poste qui était proposé au salarié n’étaient pas compatibles avec l’importance des fonctions qu’il avait exercées au Brésil et que le manquement de l’employeur à ses obligations devait être qualifié de grave d’autant que rien ne venait justifier une baisse d’implication ou d’investissement du salarié.

La cour d’appel en a donc conclu que le manquement de l’employeur, vu sa gravité, justifiait, à lui seul que la rupture du contrat de travail soit prononcée à ses torts et qu’il convenait donc de donner à la prise d’acte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Force est donc de reconnaître que l’annexe II de la convention collective nationale des Ingénieurs et cadres de la métallurgie a été particulièrement bien négociée pour ce qui concerne la situation des expatriés lors de leur réintégration dans l’entreprise française.

Elle évite en effet les deux inconvénients de la protection relative apportée par les dispositions de l’article 1235-1 du code du travail :

  • La protection joue en faveur des salariés, y compris s’ils n’ont pas été expatriés par une maison mère dans une filiale du pays d’expatriation, mais également entre sociétés sœurs (ce qui est très fréquent en pratique) ;
  • L’expérience acquise par l’expatrié pendant sa période d’expatriation est prise en considération et, à la différence de ce qui peut se produire lorsque le sort de l’expatrié n’est régi que par les dispositions de l’article L 1235-1 du code du travail, l’employeur ne peut pas proposer à l’expatrié un poste de reclassement correspondant à des fonctions exercées 7, 10 ou 15 ans auparavant.

Il ne faudrait cependant pas croire que les dispositions de cette annexe à la convention collective des Ingénieurs et Cadres de la métallurgie, permettent aux expatriés de « gagner à tous les coups ».

On trouve en effet en jurisprudence des arrêts prononcés par d’autres cours d’appel (par exemple Versailles, 15ème chambre, 23 juin 2021, n° 19/00421) qui appliquent la méthodologie in concreto proposée par la Cour de cassation et jugent que le poste de réemploi proposé au sein de la société française est compatible avec l’importance des fonctions et la rémunération perçue durant la période d’expatriation[6]. L’appréciation des juges se fait donc au cas par cas, au vu des explications et pièces produites par l’employeur et le salarié.

[1] « Lorsqu’un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d’une filiale étrangère et qu’un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions en son sein… »

[2] Lorsque la formation de jugement du conseil de prud’hommes ne parvient pas à trouver une majorité de conseillers pour donner raison ou débouter un salarié, l’affaire est de nouveau plaidée devant un juge appelé juge départiteur car il départage les conseillers (article L.1454-2 du code du travail).

[3] CA Paris, pôle 6 – ch. 8, 18 mai 2017, n° 16/02937

[4] Cass.  Soc. 9 janv. 2019, n° 17-24.036

[5] CA Paris, pôle 6 – ch. 3, 17 nov. 2021, n° 19/02606

[6] Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’emploi proposé par la société FCA France à M. X à la fin de son détachement était compatible avec l’importance de ses fonctions durant son détachement au sein de la société FCA Maroc et la modification de l’économie fonctionnelle du contrat alléguée par le salarié n’est pas établie.

Dans ces conditions, la preuve d’un manquement grave de la société FCA France n’est pas rapportée et le contrat a pris fin par la démission notifiée par le salarié le 29 juillet 2016.

Les demandes du salarié au titre de la requalification de la démission en prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse seront rejetées et le jugement sera confirmé sur ce point.

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