23 décembre 2020 | Procédure prud'homale

Pour une réforme en profondeur des juridictions du travail

Notre justice prud’homale est désespérément lente et l’État français régulièrement condamné à raison de cette lenteur.

Ce constat affligeant n’est certes pas nouveau, il a déjà été dénoncé à de nombreuses reprises dans différents articles et tribunes publié(e)s épisodiquement.

Rien, strictement rien, n’a cependant été fait pour améliorer cette situation connue et dénoncée depuis des dizaines d’années. Précisons d’emblée qu’elle n’est pas dénoncée par tous car nombre d’employeurs se satisfont pleinement de tout ce qui peut être propice à décourager les salariés à aller en justice. Certains en font même un argument de négociation de leur transaction : je sais que je vous dois 1000 mais je vous propose 300 et, si cela ne vous convient pas, vous pouvez aller aux prud’hommes, vous payerez un avocat 400 et vous aurez vos mille dans 4 ans. Nombreux sont ceux qui préfèrent renoncer…

Bien pire, les réformes successives de la procédure prud’homale qui  complexifient la saisine du conseil de prud’hommes), la barémisation des indemnités pouvant être accordées par les juridictions en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, la réforme de la procédure d’appel, tout est fait pour dissuader les justiciables de se tourner vers la juridiction du contrat de travail ou pour mettre fin à des affaires sur des points de procédure qui, sur le fond, n’apportent strictement rien au droit du travail.

Au-delà de cette lenteur et de ces entraves, un constat plus affligeant encore est que notre justice prud’homale n’est pas, bien souvent, une justice de qualité.

En première instance, il est avéré que la parité n’est pas, loin s’en faut, le moyen idéal d’obtenir des décisions rapides et cohérentes avec la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation. En cause d’appel, la qualité s’améliore significativement mais il faut relever que certains litiges présentent des spécificités telles qu’il est illusoire de penser qu’un magistrat bien que spécialisé en droit du travail, puisse en connaître sérieusement.

Le présent article, fruit de réflexions pratiques, muries au cours de plus de 33 ans de carrière, dont la quasi-totalité consacrée à la pratique du droit du travail, concerne ce dernier point, particulièrement choquant.

Les juges prud’homaux n’ont pas tous une formation juridique solide

Cette situation a récemment encore été dénoncée de manière pertinente dans un article du 12 octobre 2020, intitulé : « l’incompétence juridique des conseillers prud’hommes en question[1] », qui a suscité de nombreux commentaires de la part d’avocats mais également de conseillers prud’hommes.

Au-delà du fonctionnement actuel de la justice prud’homale et de ses délais, on ne peut en effet que s’étonner des déboutés systématiques en première instance sur certaines thématiques et de la motivation inexistante ou farfelue de certains jugements.

Alors que le droit du travail est un droit technique et particulièrement évolutif dont l’interprétation et la mise en œuvre devraient être confiées à une juridiction de spécialistes, force est de constater que les conseillers prud’homaux peuvent ne pas avoir la moindre formation juridique avant d’être désignés. Une formation est ensuite organisée sur 5 jours dans les conditions des articles L1442-1 et suivants du code du travail[2].

Après les 5 journées de formation initiale prodiguées au sein de l’école Nationale de la Magistrature (ENM), peut-on penser que les conseillers prud’homaux disposent d’une formation suffisante pour juger des affaires, parfois complexes, susceptibles d’engager pécuniairement la responsabilité d’une entreprise et la vie professionnelle mais aussi matérielle d’un salarié ? Peut-on imaginer qu’ils disposent des bases de droit civil (le contrat de travail est un contrat spécial mais un contrat qui répond à toutes les exigences des autres conventions), des mécanismes de la responsabilité civile, de procédure civile leur permettant de comprendre certains enjeux procéduraux ? Poser ces questions c’est déjà y répondre : c’est bien évidemment une ineptie.

Les formations juridiques qui peuvent par la suite être dispensées aux conseillers prud’homaux par leurs organisations syndicales et professionnelles (article D. 1442-1 du code du travail), permettent-elles de remédier suffisamment aux lacunes initiales ? C’est possible, et nous savons qu’un bon nombre de juges prud’homaux, bardés de diplômes de droit ou pas, sont parfaitement informés de l’évolution des textes, de leur interprétation par la Cour de cassation et des dernières évolutions jurisprudentielles. Pourtant, concernant la procédure civile, la plupart ignorent que le plus humble commerçant qui voit ses intérêts menacés dispose de la possibilité de saisir un juge dans un délai extrêmement bref et qu’il a même le choix d’opter pour une procédure de référé « d’heure à heure[3] » ou sur le fond « à jour fixe[4] ». Savent-ils que ces possibilités sont également ouvertes à ceux qui ne sont pas commerçants ? Combien savent que ces procédures permettent d’assigner un dimanche ou un jour férié et d’obtenir une décision dans un délai extrêmement bref (entre 48 heures et 2 semaines) ?

Pourquoi, alors que leur métier constitue leur gagne-pain, ces possibilités ne sont-elles pas offertes aux demandeurs devant les juridictions prud’homales ?

Entendons-nous bien et tentons de désamorcer toute polémique, notre propos n’est pas de faire ici le procès des conseillers prud’hommes, tout le monde sait qu’il y en a d’excellents et que, comme dans toutes les professions, il y en a qui sont bons et d’autres qui ne le sont pas. Ce qui est vrai pour les conseillers prud’homaux est également vrai pour les avocats.

La composition paritaire du conseil de prud’hommes porte un germe de partialité assumée

Aux développements relatifs à la compétence technique des conseillers s’ajoute une suspicion de partialité de la juridiction, diversement présentée.

Selon un rapport de la mission de recherche droit et justice de juin 2007 cité dans l’article de Monsieur Ndjoko susvisé[5] les conseillers prud’hommes salariés ne chercheraient pas seulement à « juger en droit », mais également à « faire du social ». En d’autres termes, ces conseillers seraient enclins à être partiaux et trop favorables à la cause des salariés.

Ce soupçon de partialité est-il fondé ? Peut-être. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’il ne faut pas le limiter aux seuls conseillers salariés.

Après 33 ans de pratique prud’homale, combien de fois avons-nous entendu des conseillers employeurs nous dire « Oh nous, Maître, la jurisprudence de la Cour de cassation… » !

Nous aurons également toujours à l’esprit cette audience de référé devant la formation du conseil de prud’hommes de Paris lors de laquelle le Président a expliqué à notre contradicteur que la formation de référé n’appliquerait pas la jurisprudence récente invoquée dans nos conclusions, mais que son client serait néanmoins bien inspiré de rechercher un accord négocié… car, en cas d’appel, il était plus que possible que la Cour d’appel, elle, applique strictement ladite jurisprudence !

Tout était dit :

  • J’ai la main sur le conseiller salarié qui siège à côté de moi,
  • C’est moi qui décide,
  • Je sais que le salarié a raison mais je ne veux pas lui accorder ce qu’il demande,
  • Votre client est chanceux d’avoir été cité devant une juridiction qui lui est favorable parce qu’ainsi même s’il a été cité devant la formation de référé cela se traduira par une absence de condamnation ;
  • Attention, si le salarié va en appel, vous serez manifestement condamné !

De cette expérience, et de nombreuses autres où il a fallu que nous ayons des discussions tendues avec des Présidents et/ou des conseillers, nous tirons la conclusion que, tout autant si ce n’est plus que les conseillers du collège salarié, nombre de conseillers employeurs ne jouent pas le jeu d’une justice impartiale. Ils refusent d’appliquer la jurisprudence pour ne pas entrer en voie de condamnation ou, à tout le moins, condamner à minima (et ainsi privilégier les intérêts des employeurs) alors qu’ils savent pertinemment qu’une condamnation est inéluctable devant la cour d’appel.

A ce niveau de dysfonctionnement, on aurait tort de parler d’incompétence technique ; il s’agit ni plus ni moins que de manquements à la déontologie prud’homale et aux règles du code du travail qui définissent le rôle des conseillers prud’homaux, si ce n’est de dénis de justice.

La composition paritaire du conseil de prud’hommes pénalise le demandeur, donc le salarié

Il semble également nécessaire d’évoquer une des conséquences négatives de la composition paritaire des formations de première instance, la nécessité d’une décision prise à l’unanimité en référé et à la majorité de trois conseillers sur quatre devant le bureau de jugement, est pour nous une hérésie.

En effet, c’est arithmétique, une composition paritaire du conseil de prud’hommes, met les conseillers employeurs en excellente position pour refuser de condamner l’entreprise ou, à minima, pour « marchander » le montant des condamnations en le tirant vers le bas. L’argumentaire est plus ou moins explicite mais implacable : certes le salarié a raison, mais si vous voulez que la décision qui sera prononcée lui soit favorable sur le principe, il faudra être mesuré sur le quantum car nous n’irons pas au-delà d’une condamnation supérieure à X mois de salaire… et si vous n’acceptez pas ce marchandage, tant pis pour le salarié, mettons-nous en partage de voix ! Ce qui était déjà vrai avant la barémisation des condamnations, l’ait plus encore aujourd’hui puisqu’il y a désormais des plafonds d’indemnisation.

La situation ne serait pas très grave si les conseillers salariés avaient les moyens de ne pas céder à ce marchandage en se mettant en partage de voix. Théoriquement c’est d’ailleurs ce qui devrait se passer puisque le code du travail prévoit que l’audience de départage doit se tenir un mois après le renvoi en départage (article R 1454-29 du code du travail[6] ou quinze jours en référé).

Force est pourtant de constater que ce délai n’est jamais respecté et qu’il n’est pas rare qu’un an, voir plus, se passe entre l’audience du bureau de jugement et celle de départage.

Pourquoi de tels délais ? Parce qu’il manque des juges départiteurs mais aussi parce que la Cour de cassation a jugé que le délai de l’article R 1454-29 du code du travail n’est pas prescrit à peine de nullité (Cass. soc., 6 oct. 1977, no 76-40.783). Moralité, les conseils de prud’hommes organisent les audiences selon leurs possibilités et celles des (trop peu nombreux) juges départiteurs et greffiers d’audience…

Cette situation est vainement dénoncée depuis plusieurs années[7] et l’enlisement des procédures donne de la justice prud’homale, et de la justice tout court, une image catastrophique. Pourquoi irais-je voir un avocat si c’est pour avoir un jugement dans 3 ou 4 ans ?

Un conseiller prud’hommes[8] expose un autre inconvénient de la parité en ces termes : « Le problème essentiel me semble être le paritarisme : on est obligés d’endosser une posture a priori, les conseillers salariés doivent défendre les salariés et les conseillers employeurs l’inverse. Résultat d’un pays où le dialogue social est conflictuel et les positions syndicales souvent dogmatiques d’un côté comme de l’autre. Et il est très mal vu de prendre une position contraire à celle de l’autre conseiller du « même bord ». Et ce, qu’elles que soient ses convictions personnelles dans un dossier. La soi-disant interdiction du mandat impératif me fait bien rire : bien entendu qu’il y a des consignes des deux côtés, il suffit de prendre l’exemple du barème. Impossible d’afficher une position contraire à celle des syndicats, d’un côté comme de l’autre. Du coup, les décisions sont souvent bancales car issues d’un compromis difficile et ardu à motiver juridiquement. »

Loin, donc de présenter les avantages du pragmatisme et du bon sens derrière lesquels certains se retranchent, la composition paritaire du conseil de prud’hommes est, selon nous, le vers qui pourrit le fruit.

… et bien plus encore, lorsque le demandeur est un dirigeant salarié, un cadre-dirigeant ou un expatrié

Pour les dirigeants salariés et cadres-dirigeants, la composition paritaire de la juridiction devient un véritable handicap, aucun des conseillers n’est enclin à accorder du crédit à leurs arguments. Nombre de conseillers salariés considèrent qu’ils n’ont pas été élus (ou désignés) pour défendre ceux qu’ils considèrent comme des « patrons ».

Pour ce qui est des conseillers du collège employeur, nombre d’entre eux dédaignent à s’intéresser à la situation de celle ou de celui qui, après avoir été membre ou côtoyé la direction de l’entreprise, a choisi de venir « laver son linge sale » devant la juridiction prud’homale, plutôt que de rechercher un accord amiable, fût-ce au rabais. Le dirigeant qui saisit le conseil de prud’hommes est ainsi, très souvent, considéré comme une espèce de paria qui, plus que tout autre à toutes les chances d’être débouté en première instance. Est-ce cela qu’on appelle la justice ?

Dans la même veine, les salariés expatriés souffrent d’un véritable parti pris défavorable de la part des conseillers prud’homaux : ils sont, la plupart du temps, considérés comme des privilégiés bénéficiant de rémunérations et d’avantages en nature considérés comme exorbitants et, du coup, considérés comme absolument non-légitimes à se plaindre devant un conseil de prud’hommes.

Notre propos n’est pas d’expliquer ici pourquoi les sujétions de l’expatriation (et plus encore dans certains pays dangereux connaissant des taux d’inflation à plus de 50%) justifient pleinement les rémunérations et avantages accordés mais de dénoncer le fait que les a priori et partis pris des conseils de prud’hommes privent ces demandeurs particuliers du premier degré de juridiction.

Nombre d’avocats, dont nous faisons partie, en sont réduits à expliquer à leurs clients qu’ils ne pourront rien gagner devant le conseil de prud’hommes mais seulement en cause d’appel. Que la phase prud’homale est un passage obligé mais surtout un coup pour rien.

Vers une professionnalisation des magistrats siégeant au conseil de prud’hommes ?

Il serait donc urgent et impératif d’améliorer substantiellement les choses. Disons-le sans détour, malgré l’affection que nous portons à cette juridiction à laquelle nous avons consacré notre vie professionnelle, nous estimons que sa professionnalisation pure et simple ou à tout le moins son échevinage, sont indispensables.

Nous reprenons donc à notre compte les axes de solution déjà avancés par d’autres, en y apportant notre propre contribution pour affiner les propositions.

Le recours à des magistrats professionnels uniquement

Une première solution pourrait consister à confier la justice du contrat de travail uniquement à des magistrats professionnels qui seraient désignés en fonction de leurs aptitudes et connaissances particulières en matière sociale ou formés à la matière.

Cette solution semble ne présenter aucun inconvénient technique. En effet, même si, à la différence des conseillers prud’homaux issus du terrain, ils ne connaissent pas nécessairement le milieu de l’entreprise, les magistrats professionnels ont plus que largement démontré qu’ils savent s’adapter aux matières et aux contentieux les plus techniques.

Le seul inconvénient semble résider dans le coût que représenterait une telle réforme pour l’État du fait des efforts qu’il faudrait déployer en termes de recrutement ou de formation.

Cette seule considération nous conduit à penser qu’il est utopique de penser qu’un texte allant en ce sens soit voté.

En effet, quand on voit où se situe le niveau d’investissement de la France par citoyen pour sa justice (23ème rang européen !), il semble évident, même si nous trouvons cela scandaleux, que nos gouvernants ne sont pas prêts à s’engager dans la voie d’une réforme coûteuse. Ceci était déjà vrai avant la pandémie, cela ne devrait pas avoir changé depuis, tant le budget de l’État a souffert.

L’Échevinage

La seconde solution consisterait en un échevinage systématique de la juridiction, c’est-à-dire à ajouter à la formation prud’homale un juge professionnel dont la voix, s’ajoutant à celle de l’un des conseillers (en référé) ou de deux d’entre eux (sur le fond) permettra le prononcé d’une décision. C’est déjà le cas lorsque l’affaire est renvoyée devant la formation de départage.

Certes, depuis la réforme prud’homale de 2015[9], le bureau de conciliation et d’orientation dispose désormais de la possibilité, de renvoyer une affaire vers le bureau de jugement présidé par un juge professionnel si la nature du litige le justifie ou sur accord des parties[10] mais l’accord des parties n’est jamais obtenu et la parité bloque le renvoi « à raison de la nature du litige ».

Il nous semble pourtant évident que plusieurs avantages pourraient résulter de l’échevinage, tant devant le bureau de conciliation et d’orientation que devant le bureau de jugement.

En conciliation (si cette audience devait être maintenue) sans aller jusqu’à espérer que le taux de conciliation s’améliore substantiellement, un bureau de conciliation écheviné et présidé par un magistrat professionnel serait moins clivé et donc plus « libre » de rationaliser la procédure prud’homale.

Contrairement à la pratique actuelle, un tel bureau de conciliation oserait sans doute plus facilement inverser le calendrier de procédure en cas de licenciement pour faute grave ou lorsque le demandeur aura déjà rédigé ses conclusions et communiqué ses pièces en même temps qu’il aura saisi la juridiction. Plus généralement, un bureau de conciliation présidé par un juge professionnel, agirait de manière professionnelle et rendrait enfin effectif les pouvoirs de mise en état et d’injonction conférés par les textes (L.1454-1 ; L. 1454-1-2 du code du travail). On rappelle en effet que lorsque les parties ne concilient pas et que l’affaire est renvoyée devant le bureau de jugement, le bureau de conciliation dispose de la faculté (pratiquement jamais accordée même lorsque cela lui est demandé) :

  • S’il estime que cette audition est de nature à l’éclairer ou à favoriser une issue amiable, de procéder à l’audition des parties en personne ainsi que le prévoient les dispositions des articles 20 et 184 du code de procédure civile ou de toute autre personne (article 204 et suivants du même code).
  • de formuler toutes demandes d’explications nécessaires que ce soit sur des points de fait (article 8 du code de procédure civile) ou de droit (article 13 du même code) du moment qu’ils sont « nécessaires à la solution du litige ».
  • de mettre une partie en demeure de produire des éléments. Cette mise en demeure a vocation à s’appliquer lorsqu’une partie n’a pas déféré à une simple demande d’explications.
  • d’ordonner toutes autres mesures d’instruction. De manière générale, peuvent être ordonnées toutes mesures d’instruction prévues aux articles 143 et suivants du code de procédure civile.

Il est frustrant et regrettable que, ces textes restent systématiquement lettre morte à l’heure actuelle et les avocats qui plaident contre les entreprises demandent ainsi vainement que leur soient communiqués des documents dont la tenue est pourtant obligatoire (preuve des relevés du temps de travail, du nombre de jours travaillés, de celui des jours de repos, registre des entrées et sortie du personnel…).

Devant le bureau de jugement, l’échevinage permettrait de gommer l’inconvénient de la parité et l’on verrait sans doute des jugements rendus en droit, plus cohérents et plus satisfaisants.

Cela permettrait de faire chuter le taux de recours et de remédier à moindre frais, à l’un des pires maux de la juridiction, qui condamne les salariés à aller jusqu’en appel et à subir des délais incompréhensibles dans une démocratie qui se prétend moderne, pour enfin voir leur affaire bien jugée.

Intégrer des juges professionnels conduirait en effet à ce que, dès le stade du conseil de prud’hommes, la justice soit rendue en toute impartialité, sans parti pris ou préjugé, et en fonction de la seule application des règles de droit applicables au litige.

Une conseillère prud’hommes qui a posté un commentaire sous l’article cité en note 1, prône également une professionnalisation ou un échevinage de la juridiction, mais manifestait la crainte que la présence d’un juge professionnel ayant le pouvoir de faire peser la balancer de la justice d’un côté ou d’un autre, viderait son rôle de toute substance et que, n’ayant plus la faculté de rédiger les jugements (ce sont les Présidents d’audience qui rédigent) elle se verrait reléguée au rang de simple faire-valoir du juge départiteur, avec pour probable conséquence, sa démission de la juridiction.

Le risque existe mais il nous semble que le déroulement de l’audience pourrait être organisé de façon à ce que le cette crainte soit levée et que les conseillers prud’hommes non-professionnels aient voix au chapitre et conservent la possibilité de rédiger les jugements prononcés après qu’il aura été délibéré. Il nous semble même qu’il doit être plus agréable de rédiger une décision démontrant que la juridiction est à la pointe de la jurisprudence, que de chercher des tournures de style alambiquées pour refuser d’appliquer une jurisprudence pourtant limpide.

Dans la mesure où il ne serait plus nécessaire de faire des contorsions avec la jurisprudence, l’amélioration de la lisibilité et de la prévisibilité des jugements permettrait de faire chuter le nombre de recours et, subséquemment, de désengorger les Cours d’appel. Une motivation et des décisions cohérentes et rigoureuses aideront effectivement les justiciables à mieux accepter la décision de justice ou, au moins, à bénéficier de manière effective d’un double degré de juridiction.

Au final, la participation de magistrats professionnels au sein des conseil de prud’hommes contribuera nécessairement à accélérer les délais de la justice, que cette participation soit totale (professionnalisation) ou partielle (échevinage).

Vers la création de formations spécialisées au sein du conseil de prud’hommes ?

Autre nécessité que nous considérons tout aussi fondamentale, il conviendrait de créer au sein des conseils de prud’hommes des sections spécialisées, dédiées à certains types de contentieux récurrents mais magistralement ignorés par la justice jusqu’à présent.

Le premier exemple qui nous vient à l’esprit concerne les salariés évoluant dans un contexte international, pour des groupes au sein desquels tout est rédigé en anglais (par exemple les consultant des plus gros cabinets de conseil internationaux). Une fois encore on ne peut que s’étonner qu’alors que, depuis 25 ans, le Tribunal de commerce de Paris se soit doté d’une chambre internationale devant laquelle les pièces sont échangées en français ou en anglais, devant laquelle il peut être plaidé en français ou en anglais et où les parties peuvent demander que le jugement rédigé soit également traduit en anglais, du côté des juridictions prud’homales les règles de la procédure sont telles que l’employeur (qui en est la plupart du temps l’auteur) peut contraindre le salarié-demandeur à faire traduire l’intégralité des documents produits en langue étrangère par un traducteur assermenté…

On voudrait fermer les portes de la juridiction au demandeur qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Cette anomalie n’est pas la seule, dès que l’on sort du cadre simple des licenciements causés ou non-causés, et que l’on se présente avec des questions complexes liées à une qualification particulière ; à l’exécution d’un contrat de travail … la justice rendue par des juges « classiques » n’est pas à la hauteur des enjeux.

A titre d’exemples – sans doute pas exhaustifs -, on peut notamment citer les contentieux concernant :

  • La requalification de mandat social en contrat de travail ;
  • Les managers de LBO ;
  • Les dirigeants salariés et les cadres-dirigeants ;
  • Les expatriés ;
  • Les inventions du salarié et les droits d’auteur.

Ce constat posé, l’idée de la création de formations spécialisées devrait s’imposer naturellement. Cela permettrait que ceux qui jugent ces contentieux complexes ou atypiques soient fréquemment exposés à ces problématiques particulières pour pouvoir se spécialiser et juger efficacement.

Il est donc essentiel d’établir la typologie de ces contentieux prud’homaux spécifiques où la connaissance de certaines opérations juridiques ou de certains statuts, voire de certaines pratiques, est indispensable, puis former des magistrats spécialisés.

Nous avons déjà évoqué plus haut la situation des dirigeants salariés et des cadres dirigeants, injustement confrontés à une non-neutralité des conseillers prud’homaux.

Il faut souligner qu’au plan technique (au sens juridique), un litige relatif au départ des dirigeants pose en outre des questions subtiles pouvant porter sur des régimes de retraite surcomplémentaires (retraite-chapeau), la violation des droits fondamentaux dans le cadre d’une enquête interne, l’actionnariat salarié ou les aspects RGPD. Même des sujets plus habituels comme le harcèlement moral ou la discrimination développent des problématiques complexes lorsque les agissements visent un dirigeant et plus encore une dirigeante.

Surtout, si l’entreprise fait l’objet d’une opération de LBO, avec l’entrée au capital d’un fonds d’investissement, le dirigeant sera devenu ce qu’il est convenu d’appeler « manager », ce qui signifie qu’il lui a été proposé d’acheter des actions du groupe employeur. Normalement, le dirigeant se prépare à céder ses actions au moment de la revente de l’entreprise par le fonds d’investissement et, ce jour-là, à empocher une forte plus-value comme ce dernier. Mais les choses ne se passent pas toujours comme prévu ; il arrive parfois, pour une raison ou une autre, que le groupe décide de se séparer du dirigeant avant la revente et impose à ce dernier (alors réputé « bad leaver ») de revendre ses actions à vil prix. Ces mécanismes complexes font l’objet de contrats nombreux et volumineux, fortement teintés d’aspects financiers : en cas de litige, contrat de travail oblige, ces contrats se retrouvent soumis à la juridiction prud’homale…. qui, neuf fois sur dix, n’y comprend strictement rien (quand elle ne se déclare pas incompétente malgré la jurisprudence de la Cour de cassation).

De même, les dossiers d’expatriés sont souvent éminemment complexes car ils mêlent droit du travail, droit fiscal et de la sécurité sociale français et les mêmes droits dans le pays d’accueil… difficiles à appréhender notamment dans les cas de rupture de contrat.

Même dans l’ordre juridique interne, le litige imbrique de manière particulièrement peu limpide, droit du travail, règles fiscales et sociales applicables aux seuls expatriés, et droit de la sécurité sociale. C’est ainsi que nous avons subi, par exemple, une décision de cour d’appel hallucinante faisant droit à l’argumentaire d’un employeur qui plaidait qu’une même personne pouvait, dans le même temps, avoir le statut de détaché et d’expatrié au regard des règles de sécurité sociale ! Le client, écœuré,  n’a pas souhaité se pourvoir en cassation…

Pour ce qui concerne les salariés auteur, les difficultés viennent de l’absolue non-connaissance de la matière des droits d’auteur par les juges prud’homaux en général.  Les décisions se trouvent alors rendues en dépit des règles relatives à la propriété intellectuelle. Malheureusement, le salarié, qui a déjà payé un avocat en première instance et en appel, ne veut/peut pas toujours se pourvoir en cassation. Aussi, la jurisprudence ne se fait pas ou, pire, se fait sur des décisions d’appel contestables et ignorant la règle de droit applicable.

Certes, il s’agit de contentieux assez rares mais les problèmes analyser concernent tous les salariés qui travaillent dans des entreprises de création, ceux qui inventent les motifs que l’on retrouve sur les tissus, ceux qui créent les produits dérivés de tel ou tel personnage de bande dessinée… Pourquoi pas une juridiction nationale dans laquelle siègerait un magistrat spécialiste du droit d’auteur ?

Ces constats posés, l’idée de création de sections spécialisées s’impose naturellement car la difficulté procède d’une réalité purement statistique : il faut que ceux qui doivent juger l’un de ces contentieux complexes ou atypiques soient suffisamment fréquemment exposés au type de contentieux concerné pour pouvoir appréhender la situation de manière pertinente et exhaustive.

Il est donc essentiel d’établir la typologie de ces contentieux prud’homaux spécifiques où la connaissance de certaines opérations juridiques ou de certains statuts, voire de certaines pratiques, est indispensable, puis de recruter et de former en ce sens des juristes spécialisés.

 

Pour conclure, nous pensons et appelons de nos vœux, une nouvelle réforme de la justice prud’homale. Elle s’impose ! Elle permettrait, du moins peut-on l’espérer, d’améliorer la perception de la justice prud’homale par les justiciables et contribuerait ainsi à redorer le blason de la justice en général.

Cette réforme pourrait être également l’occasion de revenir sur la réforme de la procédure d’appel en matière sociale qui peut dissuader certains justiciables de former appel et dont les jurisprudences actuelles démontrent qu’elle est utilisée pour contester la recevabilité des procédures d’appel.

L’objectif est sans doute de désengorger les juridictions. Le sentiment qu’en retirent les justiciables est que la justice utilise des artifices procéduraux pour ne pas faire son « boulot ». Quel gâchis !

 

Philippe Ravisy

 

 

 

 

[1]  Monsieur Hermann Martial NDJOKO https://www.village-justice.com/articles/incompetence-juridique-des-conseillers-prud-hommes-question,36770.html?fbclid=IwAR1FTFy6cdUw4qSDztQV1MRXaGm3Urh4M8UqFkZ33UEoMtWXphPtBCxNf3U

[2] L. 1442-1 du code du travail

[3] Articles 484 à 492-1 du code de procédure civile

[4] Articles 840 à 844 du code de procédure civile

[5] Hélène Michel et Laurent Willemez, « Les conseils de prud’hommes entre défense syndicale et action publique : Actualité d’une institution bicentenaire », rapport de la mission de recherche Droit et justice, juin 2007, page 142.

[6]  Article R1454-29, premier alinéa : « En cas de partage des voix devant le bureau de jugement ou le bureau de conciliation et d’orientation, l’affaire est renvoyée à une audience ultérieure du bureau de jugement. Cette audience, présidée par le juge départiteur, est tenue dans le mois du renvoi. En cas de partage des voix au sein de la formation de référé, l’affaire est renvoyée à une audience présidée par le juge départiteur. Cette audience est tenue sans délai et au plus tard dans les quinze jours du renvoi ».

[7]  Voir par exemple l’article de 2015 de notre confrère Jalain du barreau de Bordeaux  : conseil de prud’hommes et renvoi en départage, un déni de justice ? https://www.legavox.fr/blog/maitre-jalain-avocat-au-barreau-de-bordeaux/conseil-prud-hommes-renvoi-departage-16739.htm

[8] Commentaire de F. Revellat, conseiller prud’hommes, figurant sous l’article cité en note 1.

[9] Loi 2015-990 du 6 août 2015.

[10] Article L.1454-1-1 du code du travail

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40 nouvelles entreprises vont être testées sur leurs pratiques à l’embauche.

7 entreprises ont subi un stage de « remise à niveau » pour leur discrimination à l’embauche le 2 juillet dernier. L’État s’apprête désormais à poursuivre son étude auprès de 40 structures supplémentaires.

Comme l’explique cet article du Figaro, le planning de ce grand screening a accéléré malgré la crise sanitaire, dans une situation d’embauche fortement ralentie.

Seront contrôlées les sociétés du SBF 120, c’est à dire les plus grands groupes Français. Les rapports de la première salve de contrôles avaient été édifiants, et fortement contestés par les employeurs ayant été désignés comme mauvais élèves.

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